Comment créer son bunkai de karaté ? Comment le construire à partir de son kata de karaté ?
Voici le 6 étapes pour décoder ses katas et réussir son bunkai.
Commençons par le basique, que veut dire bunkai ?
Bunkai 分解 veut dire en japonais analyser, décomposer, mettre en pratique, appliquer les mouvements d’un kata.
Le bunkai est la mise en pratique des mouvements de kata. Sans cette mise en situation, le kata ne sert à rien, à part à faire une gymnastique corporelle. C’est joli, mais cela ne sert à rien si l’on ne sait pas le mettre en application avec un partenaire et à vitesse réelle.
Je vais aborder le choix du kata, les séquences, les différentes et complémentaires visions, et les astuces et conseils pour améliorer ton bunkai.
Va et vient indispensable
La progression du bunkai se fait par le travail du kata, et inversement. Le kata nourrit le bunkai, et vice versa.
Je pense qu’il est primordial de garder un lien étroit et fort entre le kata et le bunkai. Pour moi, le kata et le bunkai sont comme le yin et le yang : inséparables. Si je connais un kata, je dois connaître et savoir faire son bunkai.
Le bunkai va donner un sens martial à mon kata. Et le kata va m’aider à garder ma verticalité, à suivre le rythme et à être précis dans chaque geste. L’un renforce l’autre. Ils sont complémentaires et indissociables.
Il est important que tu puisses passer de l’un à l’autre sans aucun problème. Je fais souvent travailler une partie du kata à mes élèves, pour ensuite faire le bunkai en version Omote, Ura ou Jutsu. Et ensuite, on recommence.
Ce va-et-vient entre le kata et le bunkai te permettra de travailler dans une « condition » d’examen, où tu devras d’abord montrer ton morceau de kata, puis démontrer l’application bunkai, une fois lentement et une fois à vitesse réelle.
Alors, travaille ton kata et ton bunkai, l’un après l’autre pour profiter au mieux du rythme, de la puissance, et ainsi les approfondir ensemble.
Voici 6 étapes qui vont t’aider à mieux décoder ton kata :
Bien choisir son bunkai, c’est bien choisir son kata
Pour faire très court, les karatékas préparent un bunkai pour leur passage de grade. Il faut qu’ils démontrent au jury toutes leurs connaissances en trois applications. Les fondateurs des katas pensaient au bunkai en les créant. Sans bunkai, il n’y a pas de kata.
Vrai ou faux : Plus je pratique mes katas et plus ils sont précis. Évidemment que c’est vrai, et que c’est aussi le cas pour tes bunkais ! Il faut donc que tu les travailles tout le temps. Pas juste quand tu prépares ton passage de grade.
Pour réaliser un bon bunkai, il faut tout d’abord choisir le bon kata.
Comme tu dois le savoir, tu n’es pas obligé de présenter le bunkai du kata présenté au choix (d’après le règlement de la FFKaraté) lors d’un examen. On a toujours un kata favori dans la liste imposée. C’est toujours ce kata que je choisis d’appliquer en bunkai.
Dans mes cours/stages, le bunkai fait partie intégrante de mon enseignement du karaté, dès le commencement. Je demande même à mes ceintures blanches de me proposer deux applications de Heian Shodan lorsqu’ils se présentent pour la ceinture jaune. Cela ne les perturbe pas, bien au contraire. Après avoir longuement discuté avec eux, ils trouvent que c’est une aide précieuse de savoir à quoi sert le mouvement et de savoir le transcrire sur un partenaire, même si l’application n’est que simpliste. Cela les aide à intégrer, dès le départ, le but principal des katas.
Mon conseil, et j’espère que tu le suivras, est de préparer le bunkai de ton kata favori.
Un autre conseil : pense qu’à chaque fois que tu apprends un nouveau mouvement, tu dois repartir du dojo avec au moins une explication de ce mouvement. Il ne faut pas rester dans le flou et se demander à quoi cela peut bien servir.
Je te conseille de créer le bunkai de ton kata au choix pour conserver et chérir ce lien étroit entre les deux, comme le yin ne peut exister sans le yang.
Quels passages choisir de son kata pour ton bunkai ?
Il est temps de choisir les passages de ton kata que tu désires présenter en bunkai.
Le règlement de la FFKDA impose au minimum trois enchaînements du kata.
Mais lesquels ?
Je ne m’arrête jamais à trois passages !
Je veux connaître et savoir réaliser le bunkai complet de mon kata. Cela va ensuite me permettre de pouvoir piocher ceux qui m’intéressent le plus, ceux où je me sens le plus à l’aise, ceux où je suis le plus précis et explosif. Bref, ceux que je « maîtrise » le mieux.
Depuis toujours, je prépare en fait tous les bunkais de tous les katas que j’ai à mon programme. C’est exact, cela fait une masse de travail considérable, mais je pense que je dois connaître toutes les applications de chaque mouvement de chaque kata si, au fond de moi, je veux mériter ma ceinture. Cela n’engage que moi, mais je crois que connaître et savoir faire toutes les applications fait de moi un enseignant plus qualifié pour apprendre à mes élèves, et surtout un meilleur karatéka.
Je ne vais pas te dire ce que tu dois faire. Je respecterai ce choix. Je préfère voir mes élèves très bien connaître les applications de leur kata que de connaître tous les bunkais de chaque kata mais d’une façon superficielle. La qualité et la justesse avant la quantité.
Mon conseil est que tu dois au minimum connaître et savoir faire correctement le bunkai complet de ton kata au choix. Cela te permettra de choisir les trois passages que tu ressens le mieux et que tu exécutes le plus précisément.
Allons un peu plus loin dans cette démarche, pour avoir encore plus de choix.
Omote, Go, Oyo, Jutsu, lequel sera le mieux pour ton Bunkai ?
Il est important de ne pas toujours avoir une seule façon de faire les applications d’un morceau d’un kata. Pour avoir plus d’options dans ton bunkai, tu dois penser à Omote, Go, Ura, Oyo et Jutsu.
Omote est la version classique, visible du bunkai, ou faisant face à l’adversaire, qui ne s’écarte pas de l’enbusen du kata.
Ura est la version cachée, en passant dans le dos de l’adversaire. Cela peut aussi vouloir dire « à l’envers ».
Go veut dire en arrière. Donc, au lieu de faire le mouvement en avançant, tu vas le faire en reculant. Cette version va te dévoiler les nombreuses possibilités que t’offre le bunkai.
Désaxe : dans le Go et Omote, rajoute des désaxes et des Tai Sabaki (esquives de corps), pour te donner de nouvelles occasions d’application.
Oyo veut dire libre. Avec Oyo, on réalise le bunkai en mélangeant les parties du kata, en mixant les versions Omote, Go, Ura, Go Ura, etc. Ce type de travail est plutôt destiné aux grades avancés, et je le déconseillerais pour un passage de grade. Le jury aura du mal à te suivre, la lisibilité du bunkai sera fortement amoindrie. En revanche, cela reste un exercice extrêmement intéressant pour les gradés en perpétuelle recherche. Lavorato sensei l’exécute très bien dans son DVD Bunkai Oyo.
Jutsu / Self-Défense est la manière d’exécuter les bunkais que je préfère. Pourquoi ? Le karaté n’est-il pas avant tout une vraie méthode de self-défense efficace, pour pouvoir se défendre contre un ou plusieurs agresseurs ? Donc, dans le Jutsu, je balaye les attaques « téléphonées » en Oi Zuki, j’éradique les attaques codifiées, et je les remplace par des crochets, des saisies, des étranglements, des encerclements, des poussées à la poitrine, des saisies de col suivies d’un coup de tête, etc. En contre, j’applique des Atemi Waza (frappes), Kansetsu Waza (clés), des Nage Waza (projections), Shime Waza (étranglements), etc. Et oui, il y a tous ça dans la karaté. Avec le Karaté Jutsu, Karaté Défense, on entre dans le corps-à-corps et les actions/réactions. Cela va donner une autre dimension au kata, et, forcément, au bunkai.
Pour préparer au mieux ton bunkai, je t’invite à rechercher comment tu peux appliquer ton kata en version go, désaxe et jutsu. Une fois que tu sauras faire ton bunkai dans toutes ces formes, tu auras un choix beaucoup plus vaste. Tu pourras même choisir un passage en Omote, un en Go et le dernier en Jutsu.
Tu peux même y rajouter du Kyusho. Cela donnera à tes techniques une couche supplémentaire d’efficacité. Depuis que j’ai mis la main dans ce monde des points vitaux, j’ai compris beaucoup de choses dans mes katas en combinant Jutsu, Oyo et Kyusho.
Je préfère la vision Jutsu, mais je ne délaisse pas le reste. C’est la voie qui m’intéresse le plus, qui m’attire. Regarde chaque sensei, et tu verras que chacun a sa propre vision, trace sa propre voie. C’est ça le Do, la voie, le chemin, que l’on parcourt et que l’on choisit. Et celui-ci changera au fil du temps.
La seule chose qui ne changera jamais, c’est que tout change tout le temps. (pensée taoïste).
Réflexion & Présentation du bunkai lors de passage de grade
Il est important d’avoir une réflexion active quant à sa pratique et non attendre que le sensei donne la « becquée ». Voici un exercice simple à mettre en place, mais qui te demandera beaucoup de réflexion sur le tatami.
Reprends tes trois morceaux de kata. Si, par exemple, la première technique d’attaque était un Oi Zuki, change-la pour un Mae Geri, une saisie de poignet, un encerclement, etc.
« Mais Lionel, il m’attaquait par un coup de poing au visage, et là c’est un coup de pied au corps. Je ne peux plus faire mon blocage. Cela ne marche pas. »
Ce n’est pas que cela ne marche pas, c’est ta vision qui ne marche pas. Ton blocage peut devenir une attaque et, grâce à un déplacement, tu éviteras le coup. Cela change tout ! Je pense qu’on devrait être capable de faire son bunkai contre n’importe quelle première attaque. Il faut s’adapter et, pour s’adapter, il faut réfléchir et tester. Tester les angles, la distance, le timing, et, après tous ces tests, le mettre en situation avec des attaques franches et puissantes sur des partenaires qui ne connaissent pas ton bunkai. Et là, si ta réflexion/vision est la bonne, tu verras que ton bunkai marchera.
Comme tu le sais, j’aime beaucoup le côté « self » du karaté. Je réalise souvent des bunkais de kata contre des attaques au bâton ou au couteau. Ma formation en Arnis Kali vient renforcer mes principes de sécurité liés à l’arme, et le kata se charge du reste (à titre d’information, les armes sont interdites lors des passages de grades à la FFKDA).
Si tu ne l’as pas vu, je te conseille vivement cette vidéo qui t’explique comment te placer par rapport au jury quand tu réalises ton bunkai. C’est du bon sens, mais souvent oublié.
L’importance du partenaire dans ton Bunkai
(Contrairement à certaine discipline, en karaté on ne choisit pas son partenaire. Ce n’est qu’à partir du 6e dan (roku dan) que le candidat vient avec son partenaire.)
S’il y a bien une chose que je déteste, c’est de toujours avoir le même partenaire (UKE).
Oui, UKE, celui qui reçoit ma technique. En karaté, Uke est celui qui est attaqué et Tori celui qui attaque. Mais, dans le monde du budo japonais, c’est inversé : Uke est celui qui reçoit la technique, la contre-attaque.
Uke vient du mot 受ける UKERU : recevoir.
Pourquoi c’est inversé en karaté ? J’ai une idée, mais si tu as une réponse, je suis preneur 🙂
Bref, il te faut absolument changer très très très régulièrement de partenaire, car, sans ces changements, tu vas t’habituer au gabarit de celui-ci, à sa façon d’attaquer, à déceler ses faiblesses, etc.
L’idéal est de faire le bunkai face à des partenaires ne connaissant absolument pas ton enchaînement. Cela te permettra de tester ton bunkai, de voir si celui-ci est efficace, si tu es assez rapide, précis, et si tu sais t’adapter aux différents gabarits et aux formes d’attaques.
J’aime beaucoup sortir mes élèves de leur zone de confort, surtout les candidats au passage de grade, les faire travailler avec des plus gradés, mais aussi avec des moins gradés. En règle générale, ils sont plus perturbés avec des moins gradés, car les « petites couleurs » ne connaissent pas le kata en question, et encore moins le bunkai, ne savent pas attaquer « correctement », et ne savent pas très bien contrôler… Et c’est cela la clé du bunkai. Il doit marcher sur tout le monde, sans exception. Il marchera si tu y appliques à la volée des modifications/adaptations. La clé est l’adaptation permanente.
Mon conseil : teste ton bunkai sur tous les karatékas de ton dojo. À la fin de cette épreuve, tu verras, cela va être une épreuve physique et mentale. Tu sauras si, oui ou non, ton bunkai est valable, et surtout si tu sais l’adapter à tous les gabarits.
Outils Modernes et Anciens pour Perfectionner son Bunkai
Je te conseille vivement d’écrire, de faire de la visualisation, de regarder les sensei travailler et de filmer ton bunkai.
Des outils très anciens : le stylo et le carnet martial 🙂 Écris le bunkai de A à Z en passant en revue positions, déplacements, positions des mains, pieds, angles, rythme, kiai… Au final, si je lis ton carnet, je dois être en capacité de reproduire avec exactitude et facilité ton bunkai sans jamais l’avoir vu.
Se filmer pour avoir un esprit critique sur son propre travail et pour avoir la possibilité de montrer cette vidéo à un ami pratiquant, à ton Sensei ou à toute autre personne pouvant t’aider. Se voir, c’est prendre conscience des problèmes. Et un problème dont on a conscience est un problème à moitié résolu. La vidéo, évidemment, n’enregistre que la forme extérieure, et non la sensation, l’intention. Si la sensation et l’intention sont justes, elles guideront la forme extérieure. Lire l’article correspondant
Regarder des vidéos pédagogiques du sensei faisant ta séquence t’aidera à décoder le timing, la distance, le rythme, etc. De nombreux sensei proposent des vidéos. N’hésite surtout pas à t’en servir pour progresser.
Pour remédier aux problèmes restants, je te propose de faire une séance de 20 minutes de visualisation, au minimum deux fois par semaine. Si tu ne sais pas de quoi je parle, je t’invite à lire l’article que j’ai publié sur le blog : lire l’article correspondant. La visualisation va t’aider à te mettre émotionnellement dans le contexte de l’examen. La visualisation est un outil pédagogique très utilisé dans le monde du sport de haut niveau. Utilise, toi aussi, ce merveilleux outil.
Pour conclure
Rappelle-toi qu’il est important de bien choisir ton kata ; de connaître le bunkai complet pour choisir les morceaux qui te parlent ; de travailler en Omote, Go, Ura, Go Ura, Oyo, Jutsu pour enrichir ton répertoire technique et pour avoir encore plus de choix ; de changer très régulièrement de partenaire pour que ton bunkai soit réaliste et applicable sur tous les gabarits si tu sais faire preuve d’adaptation ; de continuer à travailler en parallèle ton kata pour nourrir ton bunkai ; et d’utiliser les outils anciens et modernes à ta disposition pour progresser plus vite (caméra, visualisation, DVD).
Je te souhaite une belle continuation dans ce bel art qu’est le KARATÉ.
À bientôt sur les tatamis d’ici ou d’ailleurs.
Lionel
EnregistrerEnregistrer
7 commentaires
Super tes articles Lionel,
Merci beaucoup
Bonsoir Cynthia.
Content que tu apprécies mes articles.
Merci pour la lecture et à bientôt
Lionel
Merci Lionel . Une vision claire des katas et de leur travail, l’introspection fait partie de la recherche intérieure de notre voie. C’est en travail les bunkais de katas supérieurs que l’on comprend l’inutilité de la guerre des styles .toutes les efficacités du combat sont dans nos katas . Nos mAitres et fondateurs nous ont transmis par eux des heures de travail et de réflexions , des vies de passion… a nous de déchiffrer.. respect
Super article je suis du même à vie que toi c se que j enseigne a mes eleves
Excellent article sensei Lionel…printing for reading later …as usual with your superb articles…Tanks very much again and again and again…:)
Avec plaisir.
Honored that you printed it 🙂
Thanks for filling me.
See you…