Je ne les aime pas pour leur manque de place, de propreté, de tatami, de vestiaires… En fait, ils sont en manque de tout sauf de l’essentiel : la connaissance et la transmission. J’ai traversé les océans et les continents pour m’entraîner avec les grands maîtres. Peu importe si leurs dojos étaient « pourris », le principal était de pouvoir m’entraîner et apprendre avec eux.
Mais ces lieux avaient tous en commun quelque chose d’autre : une âme.
Une âme façonnée à travers les années de pratique intensive, de persévérance, de transpiration, de cohésion, d’engagement, de solidarité, de respect, de cœur, d’échange, de partage, d’amitiés. Ce sont bien plus que des salles de sports, ce sont des écoles de la vie : des dojos.
J’ai le souvenir d’avoir eu un pincement au cœur lorsque j’ai pénétré dans ces dojos « pourris » mais possédant une âme bien à part des autres. Lorsque j’étais à Okinawa, à Shizuoka, à Ho Chi Minh ou à Wudang, tous avaient un seul but : l’entraînement. Ces dojos ne sont pas l’apanage de l’Asie, il en existe aussi en France 👍🏻
Depuis de nombreuses années, on aperçoit des Mc-Dojo (comme le dit si bien Jesse-san), des « dojos » avec douches/spa, vestiaires pour 50, machine à soda/eau/brosse à dents, climatisation réversible, TV plasma dans tous les coins, fauteuils shiatsu, bar à protéines, club-house…, devenant de véritables usines à adhérents. Vous voyez de quoi je parle. Ces hyperdojos oublient l’essentiel : l’entraînement. Chaque centimètre carré devrait être pensé pour l’entraînement. Le reste n’est que du superflu. Mais, malheureusement, dans le monde dans lequel on vit, le superflu est trop souvent ce qui fait venir les élèves (clients ?).
Je suis arrivé en tant que professeur au Blagnac Arts Martiaux en septembre 2010. Une salle rectangulaire de taille raisonnable (120 mètres carrés). Un dojo dans un ancien hangar Airbus, transformé en dojo de fortune et attendant des jours meilleurs. On cohabite dans le même hangar avec un gros club de gymnastique qui n’hésite pas à mettre la musique à fond et à nous en faire profiter (le Body Karaté, ce n’est pas ma tasse thé). Mais ce n’est rien comparé au tir à plomb juste à côté, tirant dans des boîtes en ferraille et faisant « bam bam bam », et m’empêchant de me faire entendre par les élèves. Un vrai calvaire pour transmettre et apprendre. Mais cela n’a pas empêché les élèves de venir et de rester.
Lundi dernier, un peu plus de 15 ans après mon arrivée au « dojo », l’association Blagnac Arts Martiaux (karaté, judo, jujitsu et arnis kali) a déménagé dans une nouvelle salle d’arts martiaux communale. 2 tatamis de 182 mètres carrés chacun, pas de cohabitation avec le tir ou la gymnastique, que des arts martiaux. Un véritable plaisir 🙂 Seul hic pour que cette salle soit vraiment excellente : un mur amovible et insonorisé entre les 2 surfaces et non pas un simple rideau (de douche ?) laissant passer le moindre son. Mais ce n’est pas grave, et je remercie encore la mairie de Blagnac pour cette belle salle dédiée aux arts martiaux.
Avant le déménagement, j’étais impatient d’arriver dans « mon » nouveau dojo, mais, maintenant que j’y suis, je regrette presque mon ancien. Pourquoi ?
La cohabitation ne me manque pas. Le chauffage cassé en hiver ne me manque pas non plus. Un tatami usé et glissant comme une patinoire, non plus. C’est sûrement cette âme qui y régnait.
Me voilà dans une belle salle, avec un plus grand tatami en vinyle permettant d’être nettoyé, 2 beaux vestiaires, du chauffage, des sacs de frappe (avant, pas possible d’en installer, car les murs menaçaient de s’effondrer), pas de tir ou de gym à côté. Mais, comme tous les lieux récemment construits, il n’a pas d’âme. Avec l’aide de mes élèves et du bureau de l’association, j’espère imprégner cet endroit des bonnes ondes que j’ai eu la chance de vivre en terre martiale, et de les transmettre à ce nouveau et beau lieu. Lui façonner, avec le temps, une « âme martiale ».
Je souhaite que ce dojo ne devienne pas un hyperdojo, mais plutôt un dojo « pourri », une école de la vie.
Bahala Na (Qui vivra verra en Tagalog).
Et si, toi aussi, tu t’entraînes dans un dojo « pourri », dis-le haut et fort :
J’aime mon dojo « pourri » !
17 commentaires
Très bon article Lionel ! 😉
Il n’y a pas de dojo pourri, il n’y a que de mauvais enseignements. Qu’importe le lieu, l’état d’esprit compte plus.
Un article qui donne envie de venir vous voir…pour le reste ya caliceo^^
C’est vrais c’est pas la taille du dojo qui compte, c’est les enseignants et les pratiquants. J’ai ouvert une section t’ai-jitsu self défense au sein du club de body Karate d’un ami. je donne les cours dans la salle polyvalente de Cornac dans le lot sur un tatamis amovible de 48m2 pour l’instant c’est bien assez grand j’ai 9 adherentes. Et puis je préfère nettement l’ambiance d’une petite salle de village qu’un grand dojo de 300m2 souvent impersonnel ð
Te souhaite que ton dojo devienne vite pourri !
Merci beaucoup Grégory 🙂
Superbe article avec cette manière de transmettre une ora.
Merci
J’ai déjà ressenti cette impression aussi, en passant d’un tout petit dojo en préfa dans lequel j’ai fait mon premier tsuki et où tu pouvais toucher le plafond en sautant, à une grande salle dans un gymnase communale. Difficile de déterminer la part de nostalgie dans tout ça mais on sent que l’on perd quelque chose d’essentiel dans ces moments-là .
Effectivement, il y a une part de nostalgie. Celle-ci n’est-elle pas responsable d’une par de cette âme ? Je pense que oui. L’être humain garde en mémoire plus facilement les bons moments que les mauvais. C’est pour cela, que souvent, on se rappelle des choses positives dans des moments difficiles.
J’ai démarré mon karaté dans un beau et spacieux gymnase communal d’une des plus grande ville de mon département pour me retrouver aujourd’hui enseignante et toujours pratiquante dans une toute petite salle de préfa plus que pourrie et que l’on nomme entre nous DOJO … la transmission, l’ambiance, la chaleur humaine, la philosophie, les efforts et les « douleurs » que l’on y partagent, rendent dérisoire l’aspect, la précarité et le manque de confort de l’environnement. … en effet, Lionel, seules l’authenticité et l’âme des lieux a de l’importance. ..!!
Merci d’avoir partager ton histoire avec tous les lecteurs.
A bientôt Anne
L’âme d’un dojo elle peut exister même s’il n’est pas pourri. Elle vient du courage, de la volonté et des efforts de ceux ou celles qui l’ont rêvé, construit et qui le font vivre. Elle vient aussi de la qualité du ou des enseignants et de leur engagement sincère et total. Je suis persuadé qu’elle vient aussi de la passion et la sincérité que mettent les élèves qui fréquentent le dojo pendant leur pratique. C’est la bonne alchimie de tout cela qui donne une âme à un dojo, j’en connais des tout jeunes qui en ont une énorme et, pardon à Brassens pour ce détournement, je crois que « l’âge ne fait rien à l’affaire, quand on est bon, on est bon » 😉
C’est tellement vrai !
J’ai eu souvent la chance de fréquenter des dojos modestes mais où on se sent bien !!!
Bien à toi
Antoine
J’ai connu un dojo de judo qui était aménagé au rez-de-chaussée d’une vieille maison, les vestiaires à la cave, sans chauffage et une seule douche pour tous (et l’eau parfois tiède mais jamais chaude). Le tatami ne devait pas dépasser les 40 mètres carrés. On travaillait régulièrement à près de 20 élèves a chaque cours. Ce dojo, surnommé par certain le dojo de l’enfer, a vu la formation de près de 110 ceintures noires, tous grades confondus. Ambiance de travail acharnée. Il fallait montrer «qu’on en voulait». Pas question de dire «je suis fatigué». Mais on y allait avec joie, car c’était «notre» dojo. Il me manque parfois.
Bonjour Marc,
Merci pour la lecture et surtout le partage de l’histoire de ton dojo pourris de l’enfer.
Je comprends bien ta nostalgie.
A bientôt
Bonjour Lionel,
Il en est où ton « nouveau » déjà ancien dojo ? Dirais-tu qu’il est devenu un peu pourri ?
Pourrir son dojo, fait partie de la voie au même titre que le salut et les autres attributs des arts martiaux.
Au plaisir d’avoir des nouvelles et des photos de ton dojo.
Amitiés
Arnaud
Bonsoir Arnaud,
Mon nouveau dojo devient tranquillement « pourri » 🙂
Il faudrait demander aux élèves de ce qu’ils en pensent mais pour ma part, l’ambiance est là, le travail aussi, et l’âme est ne train de grandir tranquillement mais surement.
Au plaisir et merci pour ton commentaire. A bientôt
Lionel