Article parût dans Taichi Magazine n°5 en juillet 2015
Professeur de karaté, 5e dan, Lionel Froidure est aussi réalisateur de DVD didactiques consacrés aux arts martiaux et de documentaires. Il s’est rendu à deux reprises en Chine, dans la montagne sacrée de Wudang, afin d’y tourner deux films sur maître Yuan Limin et son école. Il nous raconte cette passionnante aventure.
Lionel Froidure a 40 ans et pratique les arts martiaux depuis l’âge de 6 ans. Il a commencé le karaté avec ses parents, tous deux professeurs diplômé d’état. Il a ensuite intégré l’équipe de France combat cadet et junior, puis s’est tourné vers l’enseignement, BEES 1 (brevet d’état d’éducateur sportif). Depuis il n’a jamais cessé de s’entraîner en karaté et de l’enseigner. Aujourd’hui, il est 5e dan de karaté Shotokan et 3e dan d’Arnis Kali Doblete Rapilon.
Taichi Magazine : En plus d’être un enseignant de karaté, tu as aussi un second job, tu es réalisateur ?
Lionel Froidure : Depuis tout petit, j’ai toujours aimé l’art, je dessinais et peignais beaucoup étant jeune. Je faisais de la photo argentique, c’était un autre temps, ou il fallait prendre son temps et ne pas appuyer trop rapidement pour déclencher la photo et ensuite, il fallait encore attendre pour voir le résultat final. Un peu comme les arts martiaux, il faut du temps pour voir les résultats des nombreuses heures d’entraînement.
Puis mon autre grande passion est la vidéo. J’avais 24 ans quand je l’ai découverte. En autodidacte indécrottable, j’ai appris à me servir d’une caméra, à monter mes films de vacances puis, petit à petit, ceux d’amis professionnels. Au fils du temps, j’ai eu de plus en plus de projets et j’ai naturellement, après un certain temps, en 2001, décidé de créer ma société de production audiovisuelle : Imagin’ Arts Tv. A travers cette société, j’ai lié mes 2 passions : les arts martiaux et la vidéo. Je réalise donc des vidéos pédagogiques avec de grands experts dans diverses disciplines comme le Karaté, Wudang Taiji, Nihon Tai Jitsu, Arnis Kali, Kyusho, Taichi Yang, Sambo, arts martiaux Vietnamiens, etc.
Taichi Magazine : Tu réalises aussi des documentaires ?
Effectivement, début 2007, j’ai retrouvé un vieil ami, résidant en Asie, de passage en France pour un stage. C’est là que je lui révélais mon envie de réaliser un documentaire sur les arts martiaux, dans son pays d’origine. Mais je ne savais pas trop comment m’y prendre, je n’avais pas les contacts et encore moins le savoir faire. Avec générosité et toute la simplicité du monde, il m’invita à le rejoindre chez lui, aux Philippines, et de me présenter à divers grands-maîtres de son art martial : Arnis Kali Eskrima. Avant ce tournage, j’ai longuement étudié plus d’une dizaine d’ouvrages de référence sur cet art martial Philippins que je ne connaissais que de nom. J’ai parcouru plus de 6000 km aux Philippines, pour revenir avec un documentaire : « les guerriers philippins ». C’est comme ça qu’est né la série de documentaire En Terre Martiale. Les 7 premiers épisodes sont diffusés sur diverses chaînes dans le monde, en France sur Kombat Sport et, bien sûr, ils sont aussi disponibles sur support DVD.
Taichi Magazine : Aujourd’hui tu es d’ailleurs instructeur d’Arnis Kali ?
Lionel Froidure : Je suis tombé amoureux de cette discipline et de sa complémentarité avec le Karaté, même si au premier abord, elles semblent éloignées. Mais avec de la pratique et un bon maître, on voit les nombreuses connections.
Ce premier voyage aux Philippines à capturer mon cœur martial. J’y retourne quasiment tous les ans et je m’y suis même marié.
Taichi Magazine : A travers tes voyages martiaux, tu es partis 2 fois aux Monts Wudang, peux-tu nous raconter ces tournages ?
Lionel Froidure : Partir faire un documentaire est plutôt simple et compliquer à la fois. Soit on appelle le premier « maître » trouvé sur Google pour lui demander si l’on peut venir filmer un documentaire, ou bien, on attend que le destin frappe à notre porte et qu’il nous fasse rencontrer la bonne personne, la personne qui nous fera rencontrer une vraie lignée martiale. C’est cette chance que j’ai su saisir en 2009, en rencontrant Charles-Henri Belmonte qui est le représentant en France du maître Yuan Limin de la lignée Wudang Xuanwu Paï (du grand maître You Xuande).
J’ai eu la chance de rencontrer Charles-Henri Belmonte, qui est le représentant en France du maître Yuan Limin, de la lignée Wudang Xuanwu Paï.
Connaissant mon travail, Charles-Henri me proposa de venir avec lui pour me présenter son maître : Sifu Yuan Limin. Fin 210, celui-ci est d’accord pour que je vienne passer 3 semaines dans son école, au milieu du mont Wudang, pour y réaliser un documentaire. Le rendez-vous est pris pour avril 2012. A mon arrivée, même si la porte du Wudang m’était entre ouverte, c’était à moi de montrer et de démontrer mon respect, mon engagement, ma volonté et ma sincérité. L’accès à la lignée est donc très délicat et demande beaucoup de temps, de patience, de confiance qui s’établit jours après jours.
C’est en voyant un montage de 2 minutes que j’ai réalisé sur place, avec les quelques images que j’avais pris les 3 jours précédents, que le maître s’ouvre un peu plus à moi et là le véritable tournage à commencer. J’ai eu le privilège de voir et de filmer une approche des arts martiaux taoïste du mont wudang.
J’ai filmé les différents arts comme le Taiji Quan, Xing Yi Quan et Bagua Zhang. 3 arts taoïstes.

Je ne filme pas que les arts martiaux, la culture qui les entoure est toute aussi importante. Mettre de côté la culture serait passer totalement à côté des arts martiaux, et c’est encore plus vrai avec les arts de Wudang. J’ai donc sorti début 2012, un documentaire se nommant Wudang Shan, en présentant l’école de Wudang Xuanwu Paï, le maître Limin, son disciple français Charles-Henri Belmonte, des élèves stagiaires d’un mois et la culture taoïste à travers la découverte des temples et des lieux de cultes.
En mars 2012, lors d’un festival d’arts martiaux à Toulouse, la nuit du Shaolin, 3 disciples de la lignée de Wudang m’offrent une épée en signe de reconnaissance pour mon travail accompli. Mais aussi, me donnant la possibilité de revenir à Wudang une seconde fois pour parfaire ma soif de connaissance dans les arts martiaux internes chinois et du taoïsme.
En octobre 2013, mon idée de repartir à Wudang est omniprésente et je commence à préparer une ébauche de projet et en décembre 2013 le rendez-vous est prêt, en avril 2014, je serai de nouveau en Chine, dans la montagne du digne guerrier.
Repartir de nouveau dans un même lieu pour faire un nouveau documentaire, mais je voulais absolument que cela ne soit pas simplement une suite, mais un réel approfondissement du premier. De rentrer plus dans les détails et de rencontrer des personnalités importantes du taoïsme. Une réelle suite digne d’intérêt.
J’ai abordé se documentaire en mettant en avant la famille du Wudang Xuanwu Paï. D’ailleurs, le titre final est : «Les disciples de la montagne sacrée».
J’ai suivi l’initiation de 2 jeunes élèves chinois de 10 et 11 ans. J’ai eu le privilège de pouvoir être présent et de filmer une cérémonie d’intronisation des disciples : Pai She. Mais aussi de suivre en cours particuliers le maître Limin et ses disciples. Puis une rencontre exceptionnelle avec le maître suprême You Xuande, donnant des conseils à Yuan Limin, parlant de ses débuts, de sa vision des arts martiaux taoïstes dans le monde, donnant des conseils éclairés au pratiquant du monde entier. Je propose en parallèle la culture taoïste. J’ai donc eu le plaisir de m’entretenir avec diverses grandes personnalités comme le maître herboriste et la doyenne du temple des nuages pourpres. Et pour encore plus d’authenticité, j’ai rencontré un maître taoïste musicien pour qu’il joue la musique du film.
Au final, en décembre 2014, j’ai présenté mon 7e documentaire nommé les disciples de la montagne sacrée, un film qui donnera, je l’espère, des clés à tous les pratiquants des arts chinois, mais aussi leur donneront l’envie d’aller à la rencontre des maîtres de leur art et pourquoi pas partir eux aussi en Chine, dans le berceau de leur art.
Taichi Magazine : As-tu une anecdote du tournage à partager avec nos lecteurs ?
Lionel Froidure : Lors des tournages, j’ai à cœur de m’entraîner dans la discipline que je filme, pour mieux la comprendre, la percevoir. Il était donc naturel pour moi d’essayer le Wudang Taiji. Ce n’est pas évident pour un karaté de faire des arts internes. Le ressentit n’est pas le même. Ce qui m’a vraiment fait plaisir est de voir le maître Yuan Limin et You Xuande s’occuper de moi, de me donner des conseils et de m’encourager. J’ai à cet instant ressentit une connexion entre eux et moi, même s’ils savaient que je n’étais là qu’un court instant, mais cet instant-là, mon cœur, mon corps et mon âme étaient pour le Wudang.
Taichi Magazine : En as tu une autre ?
Lionel Froidure : C’est un geste simple mais très important à mes yeux. A la fin du tournage à Shàowu, le maître Limin retrait à Wudang et moi à Beijing pour prendre mon avion de retour. Mais nous avions une journée de train à passer ensemble. Au moment de se quitter, j’ai étais surpris de me retrouver dans les bras du maître, de sentir son respect et son amitié à mon égard. C’est nos yeux pétillants que nous nous sommes quittés sur le quai d’une petite ville au beau milieu de la Chine.
Taichi Magazine : Quels sont tes projets pour le futur ?
Lionel Froidure : Depuis la sortie de ce septième opus, je suis parti au Viêtnam pour couvrir un festival international d’arts martiaux vietnamiens. Et j’ai rencontré 2 grands sensei (maîtres) dans l’art du Kyusho Jutsu (points vitaux). «Vo Co Truyen Viêtnam» et «Dans le monde du Kyusho Jutsu» sont mes 2 prochains documentaires à sortir d’ici la fin d’année.
Taichi Magazine : Et pour le 10ème, que prévois-tu ?
Lionel Froidure : Je prévois un beau voyage, toujours à la rencontre de belles personnes, des rencontres qui changent une vie, qui changent notre regard sur notre pratique martial, mais aussi sur la vie en général. En Terre Martiale a totalement changé ma vie. Le dixième épisode est en cours d’élaboration, je ne peux donc pas trop en parler pour l’instant.
Taichi Magazine : Que penses-tu des reportages «TV réalité» sur les arts martiaux que l’on peut voir un peu partout ?
Lionel Froidure : Ils existent et c’est très bien. Il faut parler des arts martiaux, de tous les arts martiaux. Pour ma part, je travaille différemment. J’essaye de mettre en avant les maîtres, leurs écoles, leurs styles, leurs cultures. J’essaye de retranscrire à l’écran ce que je vois et ce que je perçois, j’essaye de rester authentique et de ne surtout pas dénaturer l’esprit des lieux.
Taichi Magazine : Le mot de la fin ?
Lionel Froidure : Si les arts martiaux étaient plus pratiqués à travers le monde, il y aurait peut-être moins de guerres, de haine. Les arts martiaux nous apprennent non plus à rester en vie sur les champs de bataille mais à vivre en harmonie avec les autres et surtout avec soi-même. Savoir l’accepter et sublimer notre vie par l’entraînement.
Mon conseil : Prenez du plaisir à vous entraîner et prenez soin de votre corps pour qu’il puisse vous mener plus loin sur cette belle route des arts martiaux.