Deuxième article de la série consacrée à MUSHIN. Je vous propose de découvrir cette notion dans un environnement généralement loin des projecteurs.
Article écrit par Christian CABANTOUS, 6e dan de Karaté Wado-Ryu, éducateur médico-sportif en cancérologie, DEJEPS, vainqueur de la coupe d’Europe Wado-Ryu en kata par équipe en 2004, Fondateur de la CAMI Aveyron.
Mushin et le Sport & Cancer
La CAMI Aveyron est une association dont l’un des objectifs est de combattre les effets secondaires des traitements anticancéreux. Pour atteindre cet objectif, l’éducateur médico-sportif fait pratiquer le karaté avec une certaine intensité, fréquence et tout e n sécurité à des personnes atteintes de pathologie cancéreuse pendant les traitements.
Le présent « ici et maintenant »
Dans la pratique du karaté-do, l’intuition et l’action doivent jaillir en même temps. Il ne peut y avoir de pensée dans la pratique du budo. Il n’y a pas une seconde pour penser. Quand on agit l’intention et l’action doivent être simultanées « ici et maintenant ».
Le karaté est la création et la concentration de l’énergie. En se concentrant sur le temps présent ici et maintenant et en extériorisant la véritable énergie de notre corps, on peut observer l’union du corps et de l’esprit. Il n’y a pas de place pour la réflexion, le futur ou bien le passé.
Notre hémisphère droit concerne le moment présent, tout ce qui est « ici et maintenant ». Il réfléchit en image et il apprend de façon dynamique grâce aux mouvements de notre corps. L’information se répartit simultanément sous forme d’énergie, connectées les unes aux autres par la conscience de notre hémisphère droit.
L’état d’esprit centré sur « l’ici et maintenant » ou « zanchin », l’apprentissage par le corps, la notion d’énergie, tout cela résonne de façon particulière pour des pratiquants de la voie martiale traditionnelle.
Revenons maintenant à la CAMI sport et cancer et détaillons le processus :
Lorsque une personne atteinte de cancer, à laquelle l’oncologue a recommandé de venir à la CAMI, cette personne ne veut surtout pas attendre parler de karaté, elle vient car elle est prête à tout pour survivre et combattre cette maladie.
Mon premier rôle est de créer un climat de confiance absolue entre l’enseignant et l’élève, de lui faire comprendre que nous allons travailler sur ce corps malade fragilisé par les traitements afin de pouvoir trouver un certain équilibre entre l’esprit et le corps. Le corps est en effet modifié par la maladie cancéreuse les douleurs, mais aussi les soins, que ce soit la chirurgie (amputation totale ou partielle du sein ou autre), la chimiothérapie (chute des cheveux, fourmillements aux extrémités, trouble du goût, épuisement, diarrhées…..), la radiothérapie (diarrhées, essoufflement, perte du goût et de la salive). Tous ces dégâts concourent à rendre le patient anxieux vis-à-vis des capacités de son corps, à ne plus lui faire confiance. Cette perte de confiance limite encore plus les mouvements et donc une absence de confiance en soi. Les effets secondaires de ces traitements est la résultante d’une toxicité aiguë qui intervient soit pendant, soit quelques jours après les traitements et qui est le plus souvent réversible. De part les traitements, le cancer impose des changements radicaux dans la vie de tous les jours. Les arrêts de travail prolongés, les traitements imposés entrainent peu à peu une désocialisation voulue ou subie. La vie des patients peut être schématisée ainsi par des trajets uniques « maison–hôpital-maison » qui peut entrainer une certaine dissociation entre un esprit jugeant le corps traitre et inapte au moindre effort physique.
Préparation du corps à l’effort physique
Il concerne un temps précis du cours, où l’on s’exerce techniquement pour préparer le corps à répondre aux exigences du mouvement.
Les moyens mis en œuvre pour effectuer un bon échauffement doivent impérativement s’appuyer sur l’anatomie par le mouvement.
Cette méthode d’enseignement de l’anatomie par le mouvement s’appelle le « médiété »
Le médiété est une discipline créée par la CAMI. Son terme est tiré du livre d’Aristote « éthique à Nicomaque » et signifie la doctrine du juste milieu. C’est la méthode utilisée dans le cadre du diplôme universitaire sport&cancer pour permettre aux futurs intervenants de concevoir des exercices utiles, efficaces, sécurisés et permettant d’atteindre des seuils d’intensité assez importants dans leurs disciplines respectives. Pour cela: il faut préparer le corps, avec son ressenti s’appuyer sur la respiration, rechercher le placement postural juste, la mobilisation du corps dans son ensemble, la recherche de la mobilité dans l’immobilité, le travail de la verticalité et la fluidité du mouvement.
La place du karaté à la CAMI sport et cancer
A travers les techniques du karaté-do, le travail seul va permettre de retrouver un corps meurtri par les traitements, où l’esprit rejette le corps. Le kihon est un exercice qui permet à l’élève de découvrir rapidement la pratique du karaté, sans technique. Par la pratique seule du kihon, l’élève va redécouvrir que son corps fonctionne. Il réapprend à l’articuler et à le mouvoir. Les techniques du karaté-do vont permettre de travailler la coordination, la recherche de ses sensations profondes, la concentration, la maitrise du geste juste, l’efficacité à travers le placement du corps, à maitriser ses mouvements et ses émotions dans le ressenti et l’intuition. Tout en travaillant sur le corps le kihon permet de travailler sur l’intensité nécessaire qui permet d’agir sur la modification du métabolisme. Le kihon est vraiment l’exercice où l’individu va se reconstruire, va retrouver sa verticalité, sa posture, et qui va lui permettre de retrouver confiance en lui. La réappropriation de son corps va agir sur sa qualité de vie, ainsi ayant retrouvé une nouvelle mobilité du corps, cela va agir sur l’esprit.
Le travail du kata ou « travail seul »
La perte de la mémoire est elle aussi un effet secondaire des traitements. La pratique du kata va renforcer l’éveil de la mémoire, mais aussi le travail de coordination des membres supérieurs et inférieurs.
Dans la pratique du karaté-do, le kata est la transmission de style, de technique du passé. Le kata peut être considéré comme la forme d’un moule.
A la CAMI, le kata va se transformer plutôt en un cadre identique dans lequel chacun va pouvoir s’exprimer suivant son histoire. L’expression du kata où le corps est placé au centre et de ce fait, une relation évidente au corps est primordiale.
Le travail du kata doit être avant tout abordé comme un champ d’exploration où le pratiquant va puiser, au travers de sa situation, son vécu : une expérience dans laquelle il va découvrir tout le champ de ses possibilités. Il ne s’agit pas de copier le sensei ou de travailler les techniques avec précisions, mais les efforts que demande la pratique du kata dans la reconstruction du corps, du mouvement, de la coordination conduisent à découvrir le geste juste et l’attitude appropriée.
Dès lors il s’agira de placer le pratiquant comme le fondateur de ses propres mouvements. Suivant la situation de chacun, la technique si codifiée des katas n’est pas l’objectif de l’instant. Je me rends bien compte aujourd’hui de toute l’importance de la pratique du kata qui été jusqu’à présent plus une transmission de technique mais qui devient pour moi plus une transmission de la vie dans l’instant présent au travers de la technique.
Union du corps et de l’esprit
Amener le pratiquant à être tout à son corps à prendre conscience de ses muscles, de ses articulations, tel est un sens de l’unité du corps et de l’esprit. Travailler à la connaissance de son schéma corporel pour que les mouvements s’opèrent sans force ni contrainte, pour ressentir les points de force, les équilibres et s’adapter aux mieux à n’importe quelle situation. La coordination du mouvement, au travers de la respiration va permettre cette union du corps et de l’esprit. Savoir se placer, travailler la verticalité, le déverrouillage, la sensation, le ressenti afin d’être connecté avec ce corps. Il n’y aura pas de place pour la réflexion, le passé ou le futur. Les élèves vivent intensément le temps présent ne se posent pas de question sur le comment, le pourquoi.
Voila comment j’amène dans le karaté le travail de MUSHIN avec des personnes atteintes de cancer.
Certains maitres croient que MUSHIN est l’état où un combattant comprend enfin l’inutilité des techniques et devient vraiment libre de se déplacer. Les élèves de la CAMI ne se considèrent pas comme des combattants, mais simplement des êtres vivants en mouvement à travers l’espace.
Christian Cabantous
Je vous invite à découvrir et à soutenir la CAMI Sport et Cancer Aveyron.
Un grand merci à Christian pour cet article et surtout pour son précieux travail à la CAMI. Merci de partager cet article avec tous vos amis pour aider la CAMI.
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Un commentaire
Je ne doutais pas du caractère indispensable des katas mais j’ignorais cette efficacité …